Kim Jong-Un, le facteur X

09 avril

ÉDITORIAL - Une troisième guerre mondiale ? Une seconde guerre froide ? Une seconde guerre de Corée ? Une guerre asiatique ? Un "suicide continental" à l'uranium enrichi ? Qui sait. Peut-être qu'un énième média occidental se tentera à essayer l'un de ses titres dans les prochains jours, histoire de faire le buzz... La Corée du Nord est définitivement devenue la vache à lait des médias occidentaux ces derniers jours. Du coup, l'inquiétude monte à l'autre bout du monde (Europe comme Etats-Unis), sans que soit vraiment décryptée (à part par quelques journalistes et spécialistes avérés) la réalité des faits.

Nombre de familles (et de sociétés) basées en France, en Allemagne, en Italie ou en Espagne (pour ne citer qu'elles, d'après les retours obtenus) se demandent, au regard de ce qu'elles lisent et entendent, si leurs proches ne feraient pas mieux de prendre un retour simple pour le Vieux Continent. Les expatriés faisant leur première classe dans la péninsule se refusent à visiter la zone démilitarisée (DMZ), à quelques kilomètres au Nord de la capitale, Séoul. Sait-on jamais... Il faut dire que l'informations diffusée en Corée (et en Asie) et celle diffusée en "Occident" sont loin l'une de l'autre. La première est le plus souvent détaillée et analytique (économique, politique) quand la deuxième est malheureusement trop souvent (pas toujours) sensationnelle (terreur, sécurité) et copier/coller d'articles écrits ou re-re-retraduits de médias généralistes.

Ce weekend, à Séoul, les journaux télévisés du début de soirée débutaient leurs éditions par la météo changeante au-dessus du pays. Lorsque Pyongyang annonçait formellement être "en état de guerre" avec la Corée du Sud fin mars, la toile sud-coréenne parlait d'une star coréenne lavant des fraises dans une émission de télé-réalité. La une de la presse quotidienne parle du Nord, certes, mais elle n'en fait pas non plus des pleines pages avec enquêtes exclusives sur enquêtes exclusives. Pour certains expatriés, c'est avant tout une stratégie du gouvernement qui ne souhaite pas inquiéter sa propre population. Difficile à imaginer tant les nouveaux médias permettent de savoir à peu près tout (et n'importe quoi). Il suffit de parler des événements avec les sud-coréens pour comprendre que les événements intercoréens n'ont pour l'instant rien de très sérieux.

Ils sont d'ailleurs plus qu'habitués à tout cela. Ils ont vu passé tellement de chose ces dernières années... L'attentat sur le vol 858 de Korean Air fit 115 morts en 1987. La découverte du 4e tunnel creusé par les Nord-Coréens pour envahir le Sud de la péninsule ne date que de 1990. Les tensions sur le dossier du nucléaire ont débuté en 1994 avec des menaces réelles de l'état américain et n'ont cessé, jusqu'à aujourd'hui, de fragiliser la sécurité en Asie du Nord-Est. Quid des tensions autour de la NLL (la ligne de limite nord) qui ont fait des dizaines de morts en 1999 (deux ans après l'accession au pouvoir de Kim Jong-Il), 2002 et 2010 (autour de Yeonpyeong en particuliers). La touriste abattue de deux balles (jambe et dos) lors d'une promenade matinale sur une plage à proximité du Mont Keumgang en 2008. Et c'est sans parler des trois test nucléaires nord-coréens, le lancement d'un satellite l'an dernier ou les nombreux missiles-tests courte-moyenne-longue portées qui ont explosé en plein vol ou ont terminé dans l'eau.

Oui, il se passe actuellement des choses en Corée du Nord. Oui, il y a une forme de danger qui existe mais à une échelle extrêmement réduite. L'équation est simple et la solution presque évidente. Mais une seule donnée manque aujourd'hui aux experts, analystes et autres spécialistes géopolitiques. Assez pour faire parler, apparemment. Ce facteur "x" s'appelle "Kim Jong-Un". Le troisième dirigeant de la famille Kim, qui se rapproche de la trentaine, n'a d'autre choix que de montrer aux yeux du monde à quel point il maîtrise d'une main de fer son pays et son armée. Imaginez un jeune homme, plutôt intelligent et fin stratège, qui possède la quatrième plus grande armée du monde en effectif (la première en nombre de militaires pour mille habitants), devenir tout d'un coup complètement inconscient.

Entre ses mains, ce sont 9 495 000 hommes prêts à servir, 4 060 tanks, 2 500 véhicules de transport de troupes, 17 900 pièces d'artilleries, 11 000 engins de défense aérienne, autour de 10 000 missiles SATCP (sol-air à très courte portée) et anti-tanks, 915 vaisseaux en mer, 1 748 avions, la plus grande unité de forces spéciales et la plus grande flotte sous-marine au monde (la plupart de tous ces équipements et engins sont récupérés de la guerre froide). Tout cela avec une petite sauce d'uranium enrichi, et tout d'un coup, le monde (hors Corée du Sud) a peur. Ajouté une administration américaine sur les dents qui prend au pied de la lettre toutes les missives verbales des dirigeants nord-coréens, une Park Geun-Hye fraîchement élue à la tête de la Corée du Sud qui doit prouver sa capacité à diriger le pays face aux menaces nord-coréenne mais qui n'a d'autre choix que d'écouter son allié de toujours (les USA), un tout nouveau leader chinois (Xi JinPing) qui ne comprend plus vraiment la tactique nord-coréenne (les relations entre Kim Jong-Il et Hu Jintao étaient plus étroites que maintenant) et des Japonais, dirigés par un nouveau premier ministre (Shinzo Abe), qui déploient leur défense anti-missile dans Tokyo dès que la Corée du Nord lève le petit doigt, et le monde (hors Corée du Sud) est terrifié.

Mais aujourd'hui, de quoi parle-t-on... D'un test-missile qui s'échouera à quelques encablures des côtes Ouest nord-coréennes, histoire de célébrer le 15 avril prochain le 101e anniversaire de Kim Il-Sung ? D'un pêcheur abattu dans les eaux pas clairement limitées entre les deux Corée (dans ce qu'on appelle la Guerre du Crabe, en Mer Jaune, ou de l'autre côté, en Mer de l'Est) ? De trois échanges de tirs autour de la zone démilitarisée ? D'un nouvel essai nucléaire sous-terrain pour prouver (au cas où les Nations-Unies ne l'auraient pas compris) que le régime communiste détient l'arme nucléaire ? En aucun cas un tel incident ne provoquera un conflit armé d'envergure international (à moins que Kim Jong-Un veuille signer la fin de l'histoire nord-coréenne). Mais cela servira à coup sûr de monnaie d'échange pour demander un soutien économique ou alimentaire contre l'arrêt des menaces, comme cela à toujours été le cas.

Les sud-coréens regardent tout cela au journal de 20h comme s'ils étaient devant l'un de leur drama (feuilleton télévisé à l'eau de rose) favori. "Si Kim Jong-Un pète une durite et décide de s'attaquer à Séoul, alors se passera ce qu'il doit se passer" analyse un quinquagénaire devant son journal télévisé qui annonce le retrait des 53 000 employés nord-coréens de la zone industrielle conjointe de Kaesong. Comprendre par là qu'une attaque pulvériserait rapidement une grande partie de la population sud-coréenne (plus de la moitié du pays habite à moins de 100 kilomètres de la Corée du Nord), mais que les Coréens ne feront qu'un (dans la gloire comme dans la mort), comme ils l'ont toujours été dans leur histoire et leur culture. Pour les plus jeunes, le doute est là. Non pas de savoir si le peuple sud-coréen est en danger et s'il faut fuir. Non non. Le doute se pose quant à savoir quel sera le prochain mouvement de Kim Jong-Un, quand est-ce qu'il se passera et quel impact il aura. Voilà un peu autour de quoi tournent certaines discussions dans les restaurants et les bars de Séoul, entrelacé avec le dernier film à voir au cinéma, la dernière tenue d'une actrice et le dernier titre d'un chanteur tendance. Un peu comme s'ils jouaient à la roulette dans un casino (bien qu'ils n'aient officiellement pas accès aux casinos, mais c'est un autre sujet). Impair, Rouge. "Faites vos jeux !".

Par Clément, 9 avril 2013, 7h50, Séoul

Sur le même sujet : 
- Pierre Joo, sur Slate, La gazette de Séoul
- Discussions d'experts sur France Culture 

Vous pourriez aussi aimer

3 avis

  1. Un suiveur de la "politique de l'autruche" sud-coreenne?
    La verite est sans doute quelque part au centre... non?

    RépondreSupprimer
  2. "un jeune homme, plutôt intelligent et fin stratège..devenir tout d'un coup complètement inconscient." Un jeune homme qui a conscience du monde "extérieur". Et une hypothèse, sans doute trop belle pour être évoquée, mais qu'un optimiste comme moi ne peut pas laisser passer: Et si c'était les derniers soubresauts de la RPDC? Et si Kim Jong-Un cherchait juste le bâton pour se faire battre, et, par là, aller vers... la réunification? Ce serait un bon prétexte, un alibi auprès de sa population. Et si il avait compris que s'il veut entrer dans l'Histoire, il n'a pas d'autre choix. Et, allons plus loin: si tout cela était scénarisé?
    Est-ce totalement impossible?

    RépondreSupprimer
  3. Il ne faut pas oublié que ce gars là a essayé d'assassiner son demi frère KIM Jong-Nam habitant à Macao, en 2009, mais aussi qu'il a dirigé le "groupe 109" de sinistre réputation (contrôle de la contrebande de médias impurs).
    Il est réellement le facteur X, et aujourd'hui il doit asseoir son autorité sur l'armée et la population, si ce n'est que de faire mieux que son grand-père et son père.
    Il faudra bien qu'un jour cela s’arrête et aujourd'hui seule la Chine a la clé de la solution.

    RépondreSupprimer