Réforme du temps de travail à 52h : déjà des aménagements

22 février


Est-ce déjà une remise en question de la politique sociale du nouveau gouvernement Moon ou une adaptation de bon sens pour sauver la récente réforme des 52 heures de travail hebdomadaire ?
En tout état de cause, l'annonce cette semaine de l'augmentation de la flexibilité du temps de travail est un aménagement certain en faveur des entreprises qui demandaient cette contrepartie depuis plusieurs mois. En accédant à la demande du monde économique, le gouvernement cherche aussi des pistes pour re-dynamiser la croissance économique coréenne en berne depuis des mois.

L'accord qui vient d’être trouvé après plusieurs mois de discussion au sein d’une plateforme tripartite (gouvernement, syndicats de travailleurs et représentants des dirigeants) permettra aux entreprises de mieux adapter les horaires de travail en fonction de leur activité : la période dite de « flexibilité du travail » qui était depuis plus de 16 ans fixée à 3 mois passera à 6 mois.

Concrètement, le nouvel accord permettra à une entreprise de demander à son salarié de travailler par exemple 64 heures par semaine pendant 3 mois en période de pic d’activité puis de ralentir à 40 heures par semaine dans des périodes plus calmes, pour arriver à une moyenne de 52h sur 6 mois. Auparavant cette moyenne devait être atteinte en 3 mois.


Ces derniers mois, la pression était forte sur le gouvernement pour assouplir la réforme du temps de travail votée en juillet dernier et visant à réduire de manière significative les horaires de travail hebdomadaire, passant de 68 heures à 52 heures. Les dirigeants d’entreprises réclamaient une bouffée d’oxygène se sentant déjà étouffés par les deux augmentations annuelles successives du salaire minimum de plus de 10% chacune.

Ils avaient déjà obtenus une période de grâce pendant laquelle les sanctions (2 ans de prison et 20 millions de wons d’amende !) n’étaient pas appliquées s’ils ne mettaient pas en application la réforme, mais cette période arrivait à échéance en mars. Il était donc urgent d’agir pour le gouvernement.

 tshirt coréen

Les entreprises n’ont pas eu totalement gain de cause car leur demande initiale portait sur une augmentation de la période de flexibilité d’un an. Mais le passage à 6 mois constitue déjà une avancée notable. En effet, la lutte a été dure avec les syndicats de salariés dont l’un a même claqué la porte des négociations craignant un « changement pour le pire » en perdant les bénéfices sur la qualité de vie apportés par la réforme des 52 heures. Les syndicats ont cependant obtenus des garanties : l’accord fixe à 11 heures maximum le travail continu dans une journée et prévoit des options pour limiter la baisse de salaire due à la perte des heures supplémentaires.

Des discussions qui nous rappellent celles que nous avons connues en France lors de la réforme des 35 heures… On touche en effet ici à des bouleversements majeurs dans la société coréenne. Si le rapport au travail des coréens est doucement en train d’évoluer, la réforme des 52 heures est une petite révolution.


Jusqu'à peu, l’entreprise était perçue comme une « deuxième maison », des générations entières ayant sacrifiées leur vie personnelle pour sortir la Corée de la pauvreté dans laquelle elle s’est retrouvée à la fin de la Guerre Civile. Et elles ont réussi, le PIB par habitant du pays a été multiplié par 10 entre 1960 et 1995. Mais les jeunes générations, qui ont moins souffert que leurs parents, recherchent un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnel. Le terme « wolibal », pour Work Life Balance, fait fureur sur les réseaux sociaux aujourd'hui en Corée.

Cette remise en cause de la place centrale du travail est soutenue par le nouveau gouvernement de centre-gauche élu en 2017. Sa politique ambitionnent de relancer l’économie par une politique de l’offre en passant par une amélioration nette de la qualité de vie des citoyens. La réforme de la réduction du temps de travail de 68 heures à 52 heures est emblématique de ce nouveau projet de vie pour les coréens. Défendre cette réforme coûte que coûte est une priorité pour le président Moon. D'où l’aménagement accordé pour étendre la « période de flexibilité » à 6 mois.


Ce pas de coté du président s’explique aussi par les performances économiques en baisse de la Corée et le besoin de préserver l’emploi. Les petites et moyennes entreprises qui vont passer aux 52 heures à partir respectivement de janvier 2020 et juillet 2021(aujourd'hui la réforme ne s’applique qu’aux entreprises de pus de 300 salariés) sont très inquiètes. Elles n’ont pas n’ont pas des ressources financières aussi importantes que les chaebols pour absorber de tels changements.

Il est encore trop top pour évaluer l’impact de ces réformes sur la qualité de vie de la population et sur l’activité économique du pays. Les entreprises vont-elles réussir à faire face à ce changement? Les mentalités vont-elles véritablement évoluées et les coréens vont-ils effectivement moins travailler?


Des indices aujourd'hui vont dans les deux sens. La Chambre de Commerce et d’Industrie Coréenne (KCCI) a mené une étude après 4 mois d’application de la réforme. Elle porte sur 317 entreprises de taille moyenne et plus grande. On peut retenir deux chiffres : 19% des entreprises ont déclaré avoir eu recourt à l’automatisation (un des principaux risque de cette réforme surtout dans un pays en pointe en robotique). Mais 38% disent avoir recruté de nouveaux travailleurs… un chiffre plutôt encourageant.

Aussi, on observe une évolution de la consommation en faveur des loisirs et des divertissements. Comme nous en parlions récemment sur Bienvenue en Corée du Sud (voir l'article Les Coréens réduisent leurs sorties alcoolisées), une étude de la Shinhan Bank montre une augmentation des dépenses dans les loisirs entre le 1er et le 3ème trimestre 2018 (cinémas, concert...). Elle mesure à l’inverse une baisse de la consommation d’alcool dans les restaurants et bars. Moins de dîners avec ses collègues et patrons après le travail (voir ci-dessus) et plus de soirées libres !

Par Riva Brinet
Rédactrice pour Bienvenue en Corée du Sud

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